CONTAINER -



SI US PLOUF

Texte de Jean Calens, présentation du projet SI US PLOUF, commande du centre d'art de Girona à la fondation Raffy présenté au Musée du jouet de Figueiras. Octobre 2009

Les images de Bruno et Thierry Lahontâa sont travaillées avec plusieurs mediums: dessin, photo, peinture, pixels. Ils pratiquent le collage, la citations, l'imitation, le détournements et la superposition...au service d'une multitude de sujets souvent mixés à des référents personnels inspirés par leurs propres vies et leurs souvenirs d'enfants.
Ils puisent dans la culture savante et populaire, de la peinture de maître à la B.D. par exemple, les ingrédients nécessaires à la bonne fabrication d'une image façon Lahontâa!

-Pour Container, l'animation proposée par la fondation Raffy est une animatione qui fonctionne comme suit:
En cliquant sur les têtes des frères non seulement on leur permet de respirer mais de plus on fait apparaître des images de leur production. La métaphore est saisissante : la vie de l'artiste est épuisante, c'est une longue traversée dans la solitude ou seul le regard et l'attention de l'autre peut lui permettre de faire exister son oeuvre en la partageant. Et de respirer!
Ces deux petits bouchons, ces frères qui surnagent à peine, épuisés, hagards, les yeux cernés. Vont-ils
aborder enfin sur la rive ou sont-ils, au contraire, perdus en pleine mer? Seuls.
Peut-on les aider, les aider à flotter au moins?

-Les frères Lahontâa préservent avec soin une part d' immaturité, ce concept majeur cher à Witold Gombrowicz. L'immaturité pour Gombrowicz c'est le maléable, le pas encore formé. Les frictions de sens ainsi engendrées par les différents niveaux de lecture possibles des images bousculent les hiérarchies des valeurs esthétiques en provoquant des collisions d'anachronismes.
L'immaturité de l'adolescent est ce qui n'a pas encore de forme par opposition à la figure de l'adulte qui à une forme, une personnalité sociale et psychologique bien déterminée.
Mais la maturité peut, elle même, être un masque à l'immaturité!
Que faire?
Doit-on accepter sa propre immaturité et refuser de se laisser enfermer dans une forme ou bien doit-on utiliser une forme pour camoufler son immaturité? Et, accessoirement, imposer aux autres la tyrannie de la forme!
Les membres de la fondation Raffy ont choisi semble t-il la première option!

-Ces images qui se glissent, telles des anguilles, entre les certitudes supposées d'une figuration première
et nous introduisent au coeur d'une figuration seconde, engendrant des figures que la rhétorique repère comme figures de mots et figures de pensées.
Comme le souligne André Breton à propos de l'oeuvre de Magritte si la figuration concrète n'est pas aussi scrupuleuse et descriptive, alors c'en est fait du grand pont sémantique qui permet de passer du sens propre au sens figuré et de conjuguer d'un même regard ces deux sens.


-Avec notre regard, nous embrassons les images avec des mots, avec des procédures de connaissance, avec des catégories de pensées. Les images de la fondation Raffy produisent un principe d'incertitude lié à ce foisonnement de sens.
Une zone entre pensée et non pensée, des "images pensives", -j'emprunte cette expression à Jacques Rancière-, des images qui recèlent de la pensée non pensée. Cette indétermination remet en cause l'écart entre deux types d'images: la notion commune de l'image comme double d'une chose et l'image conçue comme opération d'un art.
Parler d'image pensive, c'est marquer l'existence d'une zone d'indétermination entre ces deux types d'images. C'est parler d'une zone d'indétermination entre art et non art.
Des petites scènes visuelles, des tableaux... C'est comme si ces images venaient prendre la place de l'enchaînement narratif du texte.
De Rabelais à Cervantés de Borgés à Richard Brautigan de Flann O'Brien à Italo Calvino, par exemple, il n'y a littérature qu'avec humour pour les frères Lahontâa !

-Le plus grand respect pour les jeux de l'enfance et leurs temporalités singulières permet sans doute à Thierry et Bruno une libre lecture de l'histoire de l'art car ce qui encombre, qui gêne, qui alourdit le cours des jours c'est l'usage sentencieux de l'art par tous les pouvoirs sur le mode de l'admiration car il modélise et engendre l'ennui !

-Enfin, pour conclure, écoutons l'illustre Joan Brossa qui, dans une lettre au capitaine Raffy, déclare:
"L'homme penseur oui, l'homme bricoleur oui, mais, surtout, l'homme gardien de la blague!"

Jean Calens;
Talence/Vilallonga dels Monts, oct. 2009.